EPU95 – Montmorency

Psychiatrie

 Mise à jour du 24 Avril 2007

Introduction à la Psychiatrie TRANSCULTURELLE (ethnopsychiatrie)

Dr Taieb Ferradji

Consultant de Psychiatre Transculturelle de l’Hôpital Avicenne – Bobigny

Séance du 6 octobre 2005

 

1.     En introduction voici une histoire sous forme d’énigme

Un vieil homme sentant sa fin prochaine, fit venir ses 3 enfants et leur dit : « j’ai peiné toute ma vie, j’ai travaillé pour vous, mon chemin est bientôt fini, voici mes dernières instructions. Tout ce que j’ai ce sont ces 11 chamelles qui se trouvent devant la maison. Je vais les répartir entre vous. L’aîné en aura la moitié, le second le quart et le dernier le sixième. On a toujours fait comme cela dans la famille. Il n’y pas de raison que j’introduise un changement à la coutume ». Peu de temps après, le père décède, les enfants s’acquittent du rituel de l’enterrement, puis ils se réunissent pour se partager l’héritage. Les 3 frères n’arrivent pas à trouver de solution (11 n’est pas divisible par 2, ni par 4, ni par 6) et aucun ne veut sacrifier une chamelle. Ils décident d’aller consulter un vieux sage vivant dans une contrée lointaine et dont ils n’ont entendu que du bien. Ils espèrent trouver auprès de lui soit une orientation soit la solution à leur problème. Après un long voyage, ils s’asseyent attendant leur tour derrière une file de consultants qui les précèdent. Quand leur tour arrive, l’aîné prend la parole et explique la situation. Le vieux sage écoute attentivement et à la fin il leur dit : « je regrette que vous ayez fait ce voyage pour rien, je n’ai pas de solution ; mais comme vous êtes venus de loin, que vous m’avez honoré, j’ai scrupule de vous laisser repartir comme cela. Aussi en sortant de chez moi, vous trouverez une vieille chamelle ; je vous la donne. Les 3 frères repartent chez eux avec la chamelle et se retrouvent à leur arrivée avec 12 chamelles. L’aîné en prend la moitié (6), le second le 1/4 (3) et le dernier le 1/6 (2). Au total 11

 

Cette histoire est une parabole du travail avec l’altérité, du travail avec les migrants. Les migrants nous confrontent en permanence à la différence. Ce sont des patients qui mettent à mal nos représentations, nos manières de faire. Ils arrivent souvent à la consultation après des parcours chaotiques.

Tel cet homme arrivant à la consultation chargé d’un carton contenant les centaines d’ordonnances provenant de dizaines de médecins consultés dans les 5 dernières années et disant : « voilà tous les médecins que j’ai consultés et aucun n’a pu m’aider. Vous, qu’allez-vous pouvoir faire » ?

2.     DÉFINITION - HISTORIQUE

Le terme « ethnopsychiatrie » étant parfois mal interprété en Afrique (Maghreb, Afrique de l’Ouest), l’utilisation de « psychiatrie transculturelle » permet de meilleurs échanges lors de rencontres internationales psychiatriques. Dans le cadre de la psychothérapie transculturelle, il existe trois types de thérapie :

4    La psychothérapie intraculturelle où le thérapeute et le patient sont issus de la même culture. Ils partagent les mêmes représentations, les mêmes implicites.

4    La psychothérapie inter culturelle où le thérapeute et le patient ne sont pas issus de la même culture. Par contre le thérapeute connaît la culture de son patient et de son ethnie et l’utilise comme levier thérapeutique.

4    La psychothérapie métaculturelle où le thérapeute et le patient ne sont pas issus de la même culture et le thérapeute ne connaît pas la culture de son patient, mais il connaît le rôle que peut avoir cette culture et il sait qu’elle peut éventuellement être utilisée.

2.1. La psychothérapie transculturelle

Elle fait appel à ces trois types d’approche complémentaires, parfois utilisés en même temps. La théorisation de l’ethnopsychiatrie a été établie par un psychanalyste hongrois, G. Devereux (1908-1985) qui a beaucoup travaillé aux USA auprès d’indiens américains. Il s’est posé à leur sujet un certain nombre de questions et notamment sur le partage implicite entre patient et thérapeute.

A l’aide d’une approche d’inspiration psychanalytique, un travail est possible sur certaines associations, appelées « avatars du fonctionnement psychique » tels que lapsus, mots d’esprit, oublis, rêves.

4    G. Deveneux a constaté qu’entre le thérapeute et le patient n’ayant pas la même culture, tous les moyens qui permettent normalement à la psychothérapie de fonctionner ne sont pas opérant de manière optimale dans cette situation.

4    Pour contourner cet écueil, il a eu l’idée de faire appel à l’anthropologie. Il a ainsi pu apporter à la psychiatrie une clé, le concept de complémentarisme. Le complémentarisme c’est l’utilisation d’un double discours celui de la psychanalyse et celui de l’anthropologie pour essayer de comprendre un certain nombre de phénomènes psychiques et de travailler avec les représentations des patients.

Dans cette période de théorisation dans les années 1960, il a été invité par un industriel qui à l’époque était professeur à l’Ecole des Hautes Etudes pour un séminaire. Il est resté ensuite à Paris où il a professé. Il a eu comme élève Tobie Nathan.

Tobie Nathan, à la fin des années 1970 début des années 1980, établit le premier dispositif expérimental de Consultation d’Ethnopsychiatrie en France dans le Service de  Serge Leibovici à l’Hôpital d’Avicenne de Bobigny. Il y exercera jusqu’en 1988, puis il ira à Villetaneuse avant de créer le Centre Georges Decours à Paris.

Le Pr. Marie-Rose Moreau, élève de Leibovici, a repris la consultation qu’assumait Tobie Natthan lorsqu’il en est parti. (avec par la suite quelques divergences avec ce dernier sur le plan méthodologique et sur le plan théorique).

2.2. L’enjeu de la prise en charge du migrant

Il s’agit de construire un dispositif culturellement pertinent. Ce dispositif se construit en explorant et en co-construisant avec les patients sur 3 niveaux :

4    Ontologique,

4    Etiologique,

4    Phase de la logique thérapeutique (cf. chapitre II)

Chacun des êtres vivants, dès la naissance, acquiert des apprentissages culturellement codés (des manières de faire, de dire, de sentir), comme l’alimentation différente selon les traditions de la zone où l’on grandit (Maghreb, Chine, …) par rapport à une autre. Dès la naissance, le sujet élabore, construit un code qui lui permet une lecture de son environnement. En l’absence de ce code, il est difficile d’inter réagir correctement avec son environnement. Chaque culture secrète ses normes de normalité et d’anormalité. C’est la culture qui met à disposition de l’individu sa manière (encodée) de comprendre le monde autour de lui.

Ainsi, il est facile de comprendre qu’un migrant débarquant de l’Afrique, de la Chine ou du Pakistan … et ayant construit son code sur 2 ou plusieurs décades risque d’être en difficulté pour inter réagir correctement au nouvel environnement. Face à ce monde nouveau pour lui, son code ne sera pas opérant et ne lui permet pas une lecture comme il pouvait l’avoir quand il était chez lui. Partir c’est pour le migrant abandonner du familier pour aller vers quelque chose de différent, d’étrange(r).  Et pour les spécialistes du champ transculturel, il s’agit d’assimiler la rupture du cadre intériorisé du migrant vis-à-vis du nouvel environnement. Cette rupture est décrite comme un traumatisme « migratoire ».

En psychologie, il existe 3 types de traumatisme :

4    Le premier décrit par la psychanalyse comme un afflux de données que la personne ne peut pas élaborer et qui est cause du traumatisme.

4    Le second, bien décrit par le clinicien, est celui du « non-sens ».

4    Le 3ème type est celui du type migratoire, où l’arrivée dans un nouvel environnement entraîne une rupture avec le code intériorisé. Il est devenu classique d’assimiler la culture à une enveloppe. Le migrant ne pouvant utiliser son code « se trouve à nu » culturellement dans son nouveau cadre.

Il est vrai que la majorité des migrants s’en sortent bien car, ne part pas qui veut et d’autre part, il s’agit souvent de sujets ou de familles ayant une grande possibilité de créativité. Mais ceux qui arrivent dans les structures de soins sont ceux dont la vulnérabilité s’exprime à travers des décompensations diverses.

2.3. L’anthropologie traditionnelle au secours de la compréhension du trouble psychologique

Lors de la théorisation, il a été fait appel à l’anthropologie traditionnelle :

4    Par exemple on a observé qu’en Afrique de l’Ouest, lorsqu’un individu est malade, il est perçu comme un sujet habité par un désordre. Le désordre peut être physique ou psychologique. C’est l’individu en question qui est porteur et habité par le désordre. Le désordre rejaillit sur toute la famille. C’est toute la famille qui est concernée par le désordre. Traditionnellement, c’est le groupe d’appartenance de l’individu en question (sa famille, parfois tout le clan) qui se réunit pour essayer de comprendre, d’identifier la nature de ce désordre. Ce n’est qu’une fois ce désordre identifié qu’ils vont décider de la conduite à tenir.

4    La métaphorisation du groupe traditionnel

Dans le cas du migrant, qui du fait de sa migration est coupé de ce type de lien, la thérapie transculturelle va tenter d’établir un lien un peu semblable en réunissant autour du patient un groupe de thérapeutes. Ce groupe a un rôle de métaphorisation du groupe traditionnel. En discutant autour et au sujet du patient, il essaye d’identifier le trouble, de co-construire avec lui une représentation pensable et à partir de là d’élaborer un projet thérapeutique.

3.     LES NIVEAUX DE LA PRISE EN CHARGE

La prise en charge par le groupe de thérapeute se situe en psychiatrie transculturelle sur 3 niveaux.

3.1. Le niveau ontologique de la prise en charge

L’ontologie est la science de l’être et de ses modes. Le niveau ontologique est celui où se situe la rupture du cadre culturel habituellement pertinent. Le niveau ontologique est le niveau où l’on se pose la question de la nature de l’individu, de l’être.

4    Qui est-il ?

4    D’où vient-il ?

Chaque culture secrète leurs normes de normalité et d’anormalité et elle met ainsi à la disposition des membres de la communauté des éléments de référence et de partage, mais aussi de mesure. Quelques exemples :

4    Ainsi en Afrique de l’Ouest, les informations, recueillies au moment de la naissance (caractères physiques sexe…, circonstances de la naissance, jour et heure …) sont ou seront interprétées par une personne de l’entourage (ancêtre compétent) ou par une autre personne connue pour sa compétence. Elles sont interprétées pour identifier la nature ontologique de l’enfant qui vient de naître. La notoriété du personnage reconnu comme compétent ne permet pas de remettre en cause ses conclusions. Ainsi en est-il de l’identification de l’enfant qui part et qui revient.

4    « L’enfant qui part et qui revient » est une représentation culturelle que l’on retrouve dans la partie Centrale et de l’Ouest de l’Afrique. Quand une femme perd successivement des enfants, l’enfant qui naît ensuite est compris comme le même enfant que celui qui est précédemment décédé. Cette compréhension est basée sur la représentation du monde : monde visible et monde invisible. Chaque sujet a un monde visible et un monde invisible. Quand un enfant naît, il vient d’un monde invisible qui peut le retenir ou tout au moins vouloir le retenir et quand il part c’est que l’on n’a pas fait le nécessaire pour le retenir dans le monde visible. En Afrique, c’est le groupe qui décide si l’enfant qui naît est un « un enfant qui part et qui revient ». A tel point que l’on a décrit des tribus où avant d’enterrer l’enfant on pratique des scarifications, ou on coupe le lobe de l’oreille, pour vérifier que la fois suivante il s’agit bien du même enfant.

4    Le processus d’humanisation des bébés. Plus on stimule l’humanisation (les acquisitions culturelles) et plus on le retient dans le monde visible. Un processus essentiel est la nomination. On ne peut pas nommer n’importe comment un enfant. Il faut respecter tout le processus d’identification. Un enfant qui est mal nommé est un enfant qui démarre mal dans la vie, pouvant rester vulnérable à n’importe quel moment de sa vie. Les parents de migrants africains, en France ayant 3 jours pour nommer leur enfant, s’ils n’ont pas le retour du pays dans ce délai-là, un nom lui est attribué ; si à la réception des données du pays, un autre nom lui est donné suivant le rite habituel au clan, des problèmes peuvent survenir quant à son identification. Exemple d’un jeune malien qui dès son entrée à l’école a été suspecté de surdité par la maîtresse. A la consultation spécialisée, on apprend que le nom de l’enfant, inscrit sur le livret de famille n’était pas le nom habituellement utilisé dans le groupe familial. L’utilisation du nom « traditionnel », celui que le grand-père avait envoyé, a permis de débloquer la situation.

3.2. Faut-il médicaliser ces situations ?

La réponse est non. Il s’agit là d’un rôle de médiation pour éviter un conflit entre les parents et l’école et ses conséquences pour le développement de l’enfant. La remarque est valable pour un 2ème exemple.

4    Un enfant en CE 2 signalé par l’école et le médecin scolaire parce que la psychologue scolaire a dit à ses parents « votre fils est mal élevé, quand on lui pose une question il ne répond pas ». C’est comme cela que le père l’a entendu et rapporté en consultation. Cet enfant quand il est en classe, il ne parle pas, il ne répond pas aux questions alors que dans la cour, il est décrit plutôt comme un meneur, c’est lui qui mène les jeux de ses camarades. La maîtresse ne supportait pas qu’il ne réponde pas aux questions qu’elle lui posait. On a appris que cet enfant était le fils d’un personnage très connu dans la communauté malienne migrante (marabout, chef de village depuis plusieurs générations). Cet enfant est un enfant que le père a eu sur le tard (enfant précieux) et qu’il destinait à le remplacer en tant que futur chef de village et comme notable de la communauté malienne. Cet enfant a un mandat sur le plan générationnel, un mandat très spécifique posé par le père.

4    A l’analyse de la situation, dans l’école française on attache beaucoup d’importance à la curiosité de l’enfant : un enfant curieux est un enfant intelligent ; on pose des questions et l’enfant y répond.

4    Dans le monde arabe, avant l’initiation, l’enfant n’a pas le droit de parler, il apprend en écoutant les adultes, il ne parle en public qu’après l’initiation, après un certain âge, après un rituel qui est effectué  de manière technique et décidé par les parents. Quand il parle avant cette date-là, c’est du coup un enfant qui pose problème, un enfant qui peut-être ne parle pas pour lui mais quelque chose d’autre qui parle à travers lui : n’est-il pas habité par un désordre ? comment se fait-il qu’il commence à parler, à regarder des adultes dans les yeux ?

4    La représentation du savoir est différente dans les deux cultures auxquelles se trouve confronté cet enfant. Dans la culture arabe, le savoir s’acquiert d’abord par imbibition, en écoutant, en restant à sa place, alors qu’à l’école de France il s’acquiert en allant le chercher. Cet enfant se trouve devant un paradoxe entre la loyauté à son père (injonction du mandat imposé par son père à respecter les règles culturelles) et l’obligation de s’inscrire dans un dispositif scolaire culturellement contradictoire. Dès lors que cette situation a pu être formulée dans le groupe, cela a permis à la maîtresse de comprendre la représentation que se font les parents de leur enfant et au père d’articuler sa propre représentation avec la représentation du milieu d’accueil et du coup de donner une autorisation explicite à son enfant de s’approprier des choses d’ici.

Ce niveau ontologique est très important, d’autant que dans le milieu des migrants un certain nombre de problèmes peuvent se poser.

Premier exemple

4    Lors d’une expertise récente, un jeune couple originaire du Congo Kinshasa a été signalé parce qu’il laissait leur enfant seul dans le séjour, la chambre parfois toute la journée et même oubliait de lui donner à manger. Quand il était dans une pièce les parents se mettaient dans une autre. Ils ont été signalés en vue d’un placement. Ils ont été reçus par le groupe de thérapeutes dont dépendait l’expert (expertise collective puisque c’était la demande). Cet enfant, très tôt après la naissance, a été identifié comme un enfant sorcier. Un enfant sorcier c’est un enfant qui met en danger sa famille. Dans cette famille-là depuis les 8 mois de la naissance de l’enfant, il y a eu le décès de s deux grands parents de deux oncles et d’une tante. Les deux parents étaient convaincus que cet enfant en était responsable, et que les prochaines victimes se seraient eux. Cet enfant était effrayant pour eux Une compatriote de ce couple, qu’ils sont allés consulter pour respecter le processus d’identification, est venue apporter des informations très parcellaires argumentant quelque chose de très difficile à dire, d’invisible pour le couple. Elle leur a dit que l’enfant était un enfant sorcier.

4    Traditionnellement au sein de leur famille un espace de médiation existe qui permet, en cas de difficulté, d’entreprendre des choses pour humaniser le bébé et de le faire très tôt, car plus on tarde plus il est difficile de le ramener vers le monde des humains. Il y a parfois des enfants qui sont acceptés.

4    Ici, ce couple de primo arrivant sans aucun relais ni familial ni social s’est trouvé isolé dans une situation mortifère pour gérer une représentation culturelle effrayante, coupé de tout ce qui pouvait donner sens à cette représentation pour permettre de la modifier. On se trouve devant une représentation culturelle qui ne produit que du négatif, du traumatisme. La réaction des parents a été de ne pas s’approcher de l’enfant. Ce genre de théorie a été évoqué dans le groupe qui a parlé de la frayeur que pouvait susciter ce type de représentation et surtout le groupe a validé ce sentiment de frayeur, il a légitimé la frayeur des parents. Dans les jours qui ont suivi cette reconnaissance, les parents s’appuyant sur le groupe sont allés faire les choses nécessaires pour humaniser leur enfant, alors que l’énoncé de la femme compatriote les avait complètement paralysés. La mère devenue tout à fait maternante a commencé à s’occuper correctement de son bébé.

Second exemple

4    Un enfant, qui a été identifié comme la réincarnation du grand père paternel, a reçu le nom du grand père. Quand son père s’adressait à lui, il ne l’appelait pas de son prénom, mais il l’appelait « père ». Comment les parents qui appellent son enfant père ou maître peuvent-ils leur imposer des limites ?

4    C’est un enfant qui a été signalé parce qu’insupportable à l’école : il montait sur les tables, faisait tout tomber, mordait ses copains. Cela est compréhensible puisque rien ne pouvait calmer son angoisse, personne ne pouvant lui imposer des limites.

4    Dans son cadre traditionnel, il y aurait eu d’autres adultes de la famille (des gens de la classe d’âge du grand père par exemple) qui auraient médiatisé la relation et qui auraient permis que ce ne soit pas le père qui pose l’interdit. En médiatisant la relation, ils vont permettre que cet enfant puisse à la fois porter cet héritage quasi obligatoire et en même temps se structurer et grandir normalement. Le niveau ontologique permet de mettre en place des stratégies adaptatives en fonction du milieu d’accueil.

3.3. Le niveau étiologique de la prise en charge

Définition

C’est un deuxième niveau se situant à partir de l’identification de la nature ontologique de l’être. A ce niveau on essaye de voir les représentations dont le sujet est habité à travers le discours qu’il a sur ce qui lui arrive. Qu’est-ce qui arrive ? Le désordre d’où vient-il ?

4    Dans un premier temps, la réaction habituelle est d’aller consulter normalement le pédiatre, le généraliste, le chirurgien pour connaître ce qui arrive.

4    Dans un deuxième temps, lorsque la biomédecine (terme anthropologique) a été incapable d’apporter une explication satisfaisante, ou pensable par le sujet ou l’entourage (par exemple, quand il existe des troubles psychologiques, la classification du DCM IV est incompréhensible), les parents vont aller puiser dans le « corpus culturel » qui les habite les éléments permettant une représentation pensable de cet enfant. A signaler la blessure narcissique des parents ou de l’entourage, quand les troubles sont d’ordre psychotique ou diabétique, liés à une toxicomanie ou au SIDA,…

La projection

La manière traditionnelle de penser la maladie est ce qu’on appelle la projection :

Dans un premier temps quand un membre est touché, cela provient forcément de l’extérieur. Il arrive parfois que l’on identifie au sein de la famille quelqu’un qui est à l’origine du trouble, mais ce n’est jamais dans un premier temps.

De même quand il existe un trouble au sujet d’un enfant, le modèle fonctionne comme des cercles concentriques. Si l’on considère que c’est un trouble mineur pour un enfant c’est le père qui vient pour la première fois, mais après c’est la mère qui revient toute seule. Au fur et à mesure de la complexité et de la lourdeur de la pathologie, cela va impliquer le père ensuite la génération d’avant, les grands parents, voire la famille plus élargie.

4    Si c’est un enfant qui vient du Maghreb, il y a de fortes chances que les parents commencent par une théorie étiologique en rapport avec le mauvais œil.

4    S’il vient de l’Afrique de l’Ouest, on peut entendre parler d’attaque en sorcellerie, de maraboutage.

Ce sont des manières culturelles d’attribution de sens à la maladie.

L’importance de cette phase provient de ce qu’on ne soigne pas de la même manière quelqu’un victime du mauvais œil et quelqu’un victime d’une attaque en sorcellerie et quelqu’un qui développe des troubles parce qu’il a transgressé une règle communautaire ou offensé un ancêtre..

Cette deuxième phase d’identification de la théorie étiologique est très importante, car c’est elle qui va déterminer la troisième phase, la phase de logique thérapeutique.

3.4. La phase de logique thérapeutique du désordre

C’est celle où l’on se pose la question : par quelle logique de soin faut-il passer pour sortir de la situation du désordre ? Cela se construit dans le groupe de thérapeutes

Le cadre et le fonctionnement des consultations du groupe de thérapeutes d’Avicenne

Dans le service de psychiatrie d’Avicenne, deux consultations fonctionnent (Pr. R-M Moreau, Dr. Ferradji). Le nombre de thérapeutes oscille entre 7 et 18 (comprenant des stagiaires). Il existe un thérapeute principal qui dirige la consultation. Il a une fonction de para-excitation. Les co-thérapeutes, quand ils interviennent, ne s’adressent jamais au patient ; il s’adressent toujours au thérapeute principal parce que peuvent être formulées des choses difficiles à formuler ou violentes qui sur le plan clinique ne sont pas perçues par le patient de la même façon suivant qu’elles sont dites au thérapeute principal et dites directement au patient. Le thérapeute principal peut ou reformuler les choses ou donner la parole à un autre thérapeute ou demander au patient ce qu’il pense de ce qu’a dit le co-thérapeute. C’est le thérapeute principal qui tient le fil rouge de la consultation et qui distribue la parole.

Quand les co-thérapeutes sont nouveaux, ils interviennent au début surtout pour poser des questions très pratiques. A mesure qu’ils se familiarisent avec le dispositif, ils interviennent pour apporter des images, des métaphores, raconter des contes. Cela est important, car chez beaucoup de migrants il se passe des blocages de représentation. Ainsi en était-il de ce père Kali, vu en urgence pour un gros conflit familial, sa fille de 16 ans demandant à être placée, ce qui était insupportable pour lui. A la consultation, il est apparu très rapidement que ce père fonctionnait sur une représentation qui était la sienne au moment de son départ de Kabylie 30 ans auparavant. Sa manière de penser sur la place que doit être celle d’une adolescente dans une famille, sur le rapport d’une fille avec son père, avec son frère était resté sur le modèle de celui qui était le sien 30 ans auparavant, comme si la migration avait introduit une sidération du fonctionnement psychique (figeant les représentations psychiques). Dans le groupe quand les thérapeutes sont intervenus en donnant des métaphores, en racontant des histoires, celles-ci ont pu nourrir l’imaginaire de cet homme et de faire plus facilement des associations et d’assouplir ses mécanismes de défense qui ont permis de modifier les interactions familiales.

L’équipe « référente »

Les consultations sont presque toujours de seconde intention. Il s’agit de familles qui ont un suivi de proximité par des médecins, des spécialistes, par des équipes et pour lesquelles l’équipe référente ayant le sentiment d’une problématique qui bloque la prise en charge, les adresse à la consultation. Elles sont vues avec l’équipe référente uniquement pour un nombre limité de séances pour travailler sur les éléments de blocage afin de construire des liens et de permettre que s’élaborent un peu plus rapidement de nouvelles représentations. Dans un deuxième temps, elles doivent revenir dans le circuit primaire de prise en charge. L’exploration du matériel culturel s’arrête, dès qu’elle n’a plus aucune pertinence sur le plan clinique.

L’équipe référente est présente lors du premier contact pour expliquer à la famille qu’elle va être reçu par un groupe de thérapeutes. Ensuite, le référent déjà dépositaire d’une partie de leur histoire expose la situation ce qui permet d’aller plus vite.. Cela introduit déjà du familier et du lien. Il y a déjà un partage. Ensuite, le thérapeute principal présente tous les co-thérapeutes avec leur qualification (psychiatre, psychologue, généraliste,…), pour certains leur pays d’origine ou leur ethnie. Chaque thérapeute intervient en fonction de sa formation et de son expérience. La présence d’un interprète avec recours à la langue permet de faire émerger des souvenirs, des représentations qui n’apparaissaient pas avec la langue française.

Le respect des règles culturelles…

Quand le thérapeute s’adresse au patient, il le fait avec le respect des règles culturelles.

4    Si la consultation est celle d’un enfant ou un ado, le thérapeute ne s’adresse pas directement à lui mais à son père ou à sa mère. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il s’adresse à l’enfant.

-          Quand un père donne un interdit à son fils ou à sa fille, traditionnellement l’interdit n’est pas le sien propre, mais c’est un interdit qui est porté par toute la communauté des pères (pairs).

-          Le père n’a qu’une fonction de porte parole de tous les pères, et si celui-ci est absent il y aura toujours un aîné de la même classe d’âge que le père pour rappeler l’interdit à l’ado et pour le contenir.

4    Dans la migration, quand le père veut poser un interdit, il est en situation duelle avec sa fille ou son fils.

-          Il est seul à porter l’interdit d’autant que l’institution scolaire, ou judiciaire lui renvoie sa défaillance en tant que père en lui disant « vous n’arrivez pas à contenir vos enfants ». Le conflit n’est jamais loin !

-          Souvent, surtout chez les migrants de 1ère génération, quand le père doit aller chez le médecin ou à la préfecture pour ses papiers ou à la CAF, il se fait accompagner de l’enfant en question qui va remplir le chèque, lire le courrier, expliquer. Il devient difficile de respecter un parent père ou mère très dévalorisé sur le plan social et en même temps de devoir respecter ses injonctions (lui obéir) ; en outre bien souvent le père est disqualifié sur le plan économique (si le chômage en France est de 10 %, il est chez les migrants de 40 %).

4    Pour les adolescents le respect des règles culturelles est important. A l’adolescence, où se repose toute une série de questions, notamment celles relatives à la filiation et aux affiliations, on a besoin d’un modèle. Les migrants se retrouvent bien souvent avec des modèles très diminués sur le plan narcissique, très dévalorisés. Le risque pour ces ados est la dépression, la délinquance, les conduites addictives.

Lors des consultations, le souci principal est d’aider les patients à métisser leur dispositif, à élaborer des liens entre leurs différents mondes d’appartenance. Ce qui se passe à l’intérieur de leur appartement et à l’extérieur ce sont deux mondes qui ne communiquent pas entre eux. Il s’agit de construire un pont, « de venir réconcilier le pays des parents avec celui de leurs enfants ».

3.4. Un cas clinique pour conclure

Celui de l’homme dont il est parlé à la fin de l’introduction

Ce patient de 39 ans, adressé par un collègue libéral qui le suivait depuis deux ans tous les 15 jours à la même heure, venait à la consultation dans la même attitude, s’asseyait, débitait le même discours pendant une demi heure avec les mêmes mots. Le médecin se sentait, à la longue, persécuté par ce patient. Un jour à la fin de la même tirade, il se met à formuler pour la première fois « dire que tout cela ne serait pas arrivé si je n’étais pas parti ». Le collègue qui attendait la perche depuis 2 ans lui répond « je connais une équipe qui s’occupe de ce genre de chose, je vais vous y envoyer ».

Il arrive à la consultation hospitalière. C’était un homme de 55 ans, d’origine kabyle, en France depuis plus de 20 ans ayant fait une chute d’un échafaudage 5 ans plus tôt avec perte de connaissance mais sans traumatisme grave. Il s’est toutefois réveillé en réanimation avec des perfusions, des infirmières autour de lui. Il fût pris d’une sorte de confusion, ne sachant pas s’il était mort ou pas, s’il était au paradis ou s’il était vivant, s’il était en France ou en Kabylie. Sorti de cette sorte de dépersonnalisation, il rentre chez lui avec quelques jours d’arrêt de travail. Mais il n’a jamais pu reprendre du travail. Il était convaincu qu’il ne pouvait pas le reprendre. Pendant 5 ans, il a été hospitalisé de multiple fois tant à Paris qu’en banlieue et même en province, en se présentant aux urgences (avec bilans en neuro, en cardio, en rhumato). Partout, on lui a dit qu’il n’avait rien, mais lui restait convaincu qu’il ne pouvait reprendre le travail.

Tout en essayant avec lui de reconstruire sa trajectoire, l’on apprend qu’il a perdu son père, à l’âge de 3 - 4 ans. Il resta seul avec sa mère sous la protection de son oncle paternel qui avait 6 garçons. Il a grandi dans le village. Vers 9 ans sa mère le confie pour un apprentissage chez un cordonnier de son village se situant à un point stratégique pour une dizaine d’autres villages. Quelques années plus tard, sa mère lui dit « maintenant que tu es grand, il faut que tu te maries », il prend la femme que sa mère a choisie. Entre temps ses cousins avaient grandi et les uns après les autres sont tous partis en France. Chaque été, ils reviennent au pays avec des cadeaux, certains avec des voitures. Ils viennent le voir et lui conseillent de venir avec eux pour améliorer sa situation Il leur répond « mais ma mère mourrait si je partais. Je ne peux pas ». L’été suivant après la mort de sa mère et à la proposition de ses cousins, il accepte de partir. Il le regrette rapidement car il aurait pu reprendre l’échoppe du cordonnier vieillissant et car sa femme était enceinte au moment du départ. En Kabylie on ne tient pas un homme par les menottes, on le tient par sa parole, par sa langue, par ce qu’il dit. Il était impensable pour lui de se dédire. Discrètement, il va voir un marabout auquel il donne une offrande et qui lui demande de faire un travail lui permettant d’être éliminé lors de la visite au bureau de la main d’œuvre pour l’émigration.

Son fils était entré plus ou moins dans la délinquance. Sa femme ayant perdu pendant la grossesse l’enfant qu’elle attendait avant son départ, il était donc le fils unique. Le père était habité par l’idée que son fils était en train de grandir sans lui. Il n’était pas là pour assurer sa place auprès de son fils. Un des thérapeutes intervient disant « quand quelqu’un meurt il y a la séparation de l’âme et du corps, c’est à dire que l’âme sort du corps, et le corps devient vide. Quand quelqu’un a une grande frayeur c’est exactement ce qui se passe, il y a une séparation de l’âme et du corps. Pour que la personne redevienne elle-même, il fait que l’âme réintègre le corps. Si cela ne se fait pas, la personne devient folle ou son corps devient froid, incapable de travailler, incapable d’aimer, incapable de se souvenir, c’est un corps qui est inerte, qui n’est pas habité.

L’épilogue…

Tous ceux qui font des travaux en psychopathologie sur la démence traumatique ont bien montré combien l’évocation d’une théorie étiologique peut être structurante dans la prise en charge. Dès que cette théorie a été évoqué devant cet homme, il se l’est approprié tout de suite et il a dit « effectivement c’est ce qui s’est passé pour moi » .

On a eu la preuve à la séance suivante, car pour la première fois il est arrivé en avance, il était pressé d’être à la consultation parce qu’il était impatient de nous dire qu’il s’était passé une chose extraordinaire, « je crois que je suis en train de guérir parce que j’ai rêvé. C’est la première fois que je rêve depuis l’accident ».

Effectivement le travail dans le groupe a permis à cet homme d’élaborer non un deuil mais de répondre à la question essentielle qu’il s’était posé sur lui après sa chute : si je meurs à l’étranger qu’est ce que je vais devenir, est-ce que je vais être enterrer ici ou pas. Cette menace de la mort a réveillé, chez lui, cette cascade de deuils qui n’ont jamais été élaborés (la mort de son père, de sa mère, de son premier fils) et le sentiment de vulnérabilité qu’il a eu lors de son départ en France avec.

Toutes ces idées reprises par le groupe, ont permis à cet homme de refaire des associations avec à son histoire, de reprendre des liens avec sa famille, d’autant que depuis son accident il n’était jamais reparti. Il était venu avec toute sa force avec un capital, et là il n'avait plus d'argent n'ayant plus la sécurité sociale, n'ayant plus d'indemnité, ne vivant que des minima sociaux. Dans l’année qui a suivi la prise en charge, il a pu repartir pour la première fois en Algérie et revenir à la rentrée pour nous dire j’ai décidé de marier mon fils. Depuis deux fois par an, il donne de ses nouvelles !

4.     Pour en savoir plus…

Site : www.cliniquetransculturelle.com (bibliographie, articles)

Dans la revue « l’autre » du service psychiatrique d’Avicenne, un N° récent a porté sur la psychiatrie coloniale.