EPU95 –
Montmorency
Psychiatrie
Mise à jour du 24 Avril 2007
THÉRAPIE
COMPORTEMENTALE & Cognitive
de l’INSOMNIE CHRONIQUE
Docteur E. LAINEY - Psychiatre
Consultation du
Sommeil de MGEN & Hôpital Européen Georges Pompidou de Paris
Séance du 2 mars
2006
1.
DÉFINITION DE LA THÉRAPIE COMPORTEMENTALE ET COGNITIVE
Les Thérapies Comportementales et Cognitives (TTC) sont
bien plus développées dans les pays anglo-saxons qu’en France. Elles ont
pour fondements deux approches que sont :
4
Les théories de l’apprentissage, reposant sur des
bases expérimentales, comme les travaux de Pavlov de Skider …
4
Les théories cognitives reposant sur le traitement
de l’information : le cerveau perçoit des informations de
l’environnement ou de l’interne et il élabore des cognitions ou pensées qui
influencent le comportement.
Les TCC ont une approche très pragmatique, à l’opposé de
l’approche analytique, comme celle de la psychanalyse qui est introspective
(compréhension de l’histoire du sujet). Dans la TCC ont est plus dans une
approche pratique : quand un sujet ne dort pas, au delà de la cause
(pourquoi et comment) il s’agit de se poser la question « que peut-on
faire pour l’aider à bien dormir » ?
2.
DONNÉES GÉNÉRALES sur l’INSOMNIE CHRONIQUE
L’insomnie chronique est fréquente représentant le 5ème
motif de consultation en médecine générale. Selon une enquête de la
SOFRES :
4
73 % des français disent souffrir de troubles du
sommeil
4
37% des français en souffrent souvent ou très
souvent
4
19 % des français consultent pour leurs troubles du
sommeil.
Une classification internationale des troubles du
sommeil existe depuis 1992 ; elle fut révisée récemment. Elle regroupe
une centaine de diagnostics des troubles du sommeil parmi lesquels
deux grands groupes :
4
Les dyssomnies
ou mauvais sommeil en deux sous-groupes
-
L’insomnie : ceux qui ne dorment pas
-
L’hypersomnie : ceux qui dorment trop
4
les parasomnies
ou troubles survenant au cours du sommeil :
-
Les cauchemars,
-
Le somnambulisme,
-
Les terreurs nocturnes …
Parmi les insomnies, il est décrit différentes formes
caractérisées par leurs symptômes comme :
4
Les difficultés d’endormissement,
4
Les réveils précoces avec une difficulté du
maintien du sommeil
4
Les perturbations de l’horloge interne du
sommeil : par exemple, lors de déplacements en avion, une désynchronisation
entre horloge interne et environnement peut se produire
« jet-lag »
Dans cette classification des insomnies se situe
l’insomnie chronique psycho-physiologique
3.
L’INSOMNIE PSYCHO-PHYSIOLOGIQUE (IPP)
3.1. Aspects cliniques
Elle se caractérise par :
4
Des difficultés d’endormissement et/ou des éveils
nocturnes
4
Un état de tension somatique
4
Un retentissement diurne (difficultés de
concentration, somnolence) ce qui va le différencier du petit dormeur,
notamment du petit dormeur qui s’ignore (celui qui a toujours peu dormi et
qui a modifié son comportement en allongeant son temps de lit).
4
Une absence de trouble psycho-pathologique :
un sujet anxieux n’est pas forcément un déprimé !
4
L’existence de facteurs de conditionnement +++
(exemple, l’appréhension du coucher où le sujet plus il est inquiet, plus
il aura du mal à s’endormir). C’est l’association entre la tension et le
facteur de conditionnement qui est caractéristique de cette sorte
d’insomnie. Certains de ces sujets voient leur insomnie disparaître quand
ils changent d’environnement
Son évolution :
4
Elle débute à un âge variable, souvent entre 20 et
30 ans
4
Elle évolue de façon chronique en l’absence de
traitement
4
Elle représente 15 à 25 % des insomnies chroniques.
3.2. Le schéma de Spielman
Cet auteur a mis en place un schéma d’installation de
l’IPP (voir le tableau ci-dessous). Ce schéma explique l’évolution de
l’insomnie :
4
Au départ,
le sujet présente des facteurs de prédisposition à l’insomnie (chimique,
biologique…) traduisant la vulnérabilité, la fragilité vis à vis de
l’insomnie qui ne s’exprime pas à cette phase. Cette phase est latente,
comme s’il existait un seuil en deçà duquel il n’y aurait pas de
manifestation clinique.
4
Puis, à la
faveur de facteurs précipitants ou déclenchants (un évènement intercurrent,
un stress, accident, café, …), le seuil de tolérance est dépassé et
apparaît l’insomnie aiguë.
4
Si cela se
reproduit ou persiste un certain temps et à la faveur de facteurs
d’entretien, des changements de comportement vont apparaître au niveau des
habitudes, par exemple
o
Pour compenser le manque de sommeil, se coucher
plus tôt qu’habituellement
o
Traîner tard le matin pour récupérer ou faire la
sieste dans la journée … pouvant entraîner un endormissement difficile la
nuit suivante) et engendrer une insomnie subchronique.
o
Un traitement médicamenteux va favoriser le
sommeil, mais le matin difficultés à se lever èconsommation
d’excitant dans la journée et le soir, à nouveau, difficultés à dormir.
4
La persistance
des changements de comportement va induire une insomnie chronique même
si les facteurs précipitants sont plus réduits.
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Seuil de
l'insomnie
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Facteurs
d'entretien
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Facteurs
précipitants
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Facteurs
prédisposants
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Prédisposition
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Insomnie aiguë
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Insomnie
subchronique
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Insomnie
chronique
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Modèle
comportemental et cognitif de l’insomnie psycho-physiologique d’après
Spielman (1991)
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Les troubles du comportement ont dans l’insomnie
chronique une importance à ne pas négliger. Le schéma le montre dans les
cas où la suppression des facteurs comportementaux ferait que le seuil de
l’insomnie ne serait pas atteint.
Une première étape repose sur l’analyse fonctionnelle,
dans toutes les approches comportementales et cognitives, afin d’essayer
d’identifier :
4
Les comportements inappropriés qui ont entraîné le
symptôme qu’est l’insomnie (temps passé au lit, siestes, prises
d’hypnotiques ou excitants …)
4
Les cognitions dysfonctionnelles ou croyances
dysfonctionnelles (souvent très marquées chez l’insomniaque)
4
L’augmentation du niveau d’éveil, la tension
somatique que ressent l’insomniaque dans la nuit,
o
Tension tant physique : se retourner maintes
fois dans le lit incompatible avec le sommeil qui demande un relâchement
musculaire
o
Tension psychologique : activation des pensées,
…
4
Les conséquences psychologiques, le retentissement
en terme d’anxiété et de dépression entretenant les troubles du sommeil
dans un cercle vicieux.
3.3. L’agenda du sommeil
C’est l’outil de base pour essayer de décrypter ces
boucles d’entretien de l’insomnie. Le patient y notera, tous les jours,
pendant 3 à 4 semaines :
4
Son heure de coucher,
4
Son heure de lever,
4
Ses phases de sommeil et demi-sommeil,
4
Les phases de somnolences diurnes,
4
L’appréciation de la qualité de sa nuit (B, TB, AB,
M, TM),
4
L’appréciation de la qualité de sa journée en terme
de vigilance (B, TB, AB, M, TM),
4
Les prises médicamenteuses.
A partir de la lecture de cet agenda, le praticien va
développer les approches thérapeutiques en utilisant des techniques
comportementales et cognitives.
Schéma de l’Analyse fonctionnelle
4.
LES TECHNIQUES COMPORTEMENTALES & COGNITIVES
4.1. Les Techniques Comportementales
Le contrôle du stimulus
C’est la technique décrite par Bootzin en 1972. Elle
vise à retrouver ce qui déclenche le sommeil. Le principal déclencheur du
sommeil est la position allongée d’où la nécessité de :
4
réserver le lit et la chambre uniquement pour le
sommeil
4
proscrire les activités d’éveil (TV, lecture,
radio…)
En cas d’insomnie :
4
Sortir du lit et de la chambre au bout de 10 à 15 minutes
(quitte à négocier ce temps avec le patient), si l’endormissement n’est pas
obtenu
4
Entreprendre une activité calme
4
Ne retourner au lit que lorsque le besoin de dormir
réapparaît.
4
Renouveler ces 3 étapes aussi souvent que
nécessaire.
La restriction de sommeil
C’est la technique décrite par Spielman en 1987. Elle a
pour objectif de retrouver une meilleure adéquation entre le temps passé
dans le lit et le temps de sommeil. Il faut améliorer l’efficience, donc le
rapport entre temps de sommeil et le temps passé au lit. Pour cela, il y a
différentes approches possibles :
4
De retarder l’heure du coucher
4
De maintenir une heure de lever régulière
4
De ne pas faire de sieste dans la journée
L’objectif est d’obtenir progressivement une efficience
supérieure à 85 %. C’est une technique qui marche bien mais qui n’est pas
facile à mettre en application.
Il existe même une version plus « hard » qui
consiste à dire au patient que s’il a dormi 6 heures la nuit dernière, il
ne passera que 6 heures dans son lit la nuit prochaine sans descendre en
dessous de 5 heures.
Cette technique de restriction du sommeil, où l’on
induit assez rapidement une privation du sommeil, est assez difficile à
mettre en pratique chez les gens qui travaillent.
4.2. Les Techniques Cognitives
Elles ont été élaborées par Espie en 1991 et sont basées
sur 2 étapes.
L’identification des pensées dysfonctionnelles
Comme par exemple :
4
Les attentes irréalistes : « il faut que
je dorme 10 heures »,
4
Les évaluations et interprétations erronées :
« si je ne suis pas en forme aujourd’hui, c’est parce que je n’ai pas
dormi la nuit dernière »,
4
Les ruminations excessives : les pensées
récurrentes, le « petit vélo qui tourne dans la tête »,
4
Les phénomènes de généralisation, de focalisation
et de souvenirs sélectifs (le sujet ne se souvient que des mauvaises nuits
ce qui renforce ses convictions).
Cette étape là se fait en entretien, elle prend du
temps, le praticien peut s’aider de questionnaires
La restructuration cognitive
La restructuration cognitive nécessite un apprentissage
de la technique qui s’aide entre autre de l’agenda du sommeil, Elle va
permettre chez l’insomniaque :
4
De modifier ses attentes,
4
De réattribuer les causes et les conséquences de
son insomnie
4
De dédramatiser et de diminuer la tension psychique
et somatique, ainsi, même si telle nuit a été mauvaise, la journée suivante
n’était pas si mal ; Ou bien, une journée mauvaise après une mauvaise
nuit peut être non liée à l’insomnie, mais à la tension professionnelle de
la journée.
La prise de conscience par l’insomniaque des causes et
des conséquences vont permettre une modification des attentes, et une
dédramatisation.
Ces étapes demandent plus d’expérience et de pratique.
Un Programme de Gestion du Sommeil (Morin, 1993)
Il permet d’intégrer ces différentes techniques avec une
approche séquentielle pour aider les insomniaques non pas à dormir plus
mais à dormir mieux. Il se déroule en trois phases.
4
Première
phase : on débute le programme avec les techniques comportementales
o
D’abord la restriction du sommeil
o
Puis le contrôle du stimulus [L’inverse (commencer
par le contrôle du stimulus) risque d’induire un sommeil polyphasique avec
2 heures de sommeil puis le sujet se relève pour faire autre chose puis se
recouche pendant 2 heures comme les navigateurs en solitaire.]
4
Deuxième
phase : on aborde les techniques cognitives
4
Troisième
phase : on élabore un programme éducatif qui va renforcer les
connaissances, en expliquant :
o
La notion d’hygiène du sommeil : les facteurs
d’environnement du sommeil comme la température, la lumière, l’hygiène
alimentaire …
o
La notion de physiologie du sommeil en expliquant
les différentes phases, leur organisation,
o
L’utilisation des hypnotiques sans pour autant les
dénigrer mais en expliquant comment les employer ponctuellement :
§
Les inducteurs à demi-vie courte dans les troubles
de l’endormissement,
§
Les autres à demi-vie plus longue agissant plutôt
sur le maintien du sommeil.
4.3. Les modalités thérapeutiques
En pratique…
D’un point de vue pratique, lors d’une ou plusieurs
consultations, le praticien fait un bilan initial où il pose le diagnostic,
puis le confirme avec l’aide de l’agenda.
Ensuite, l’ensemble du programme se déroule en 6 à 8
séances de 30 minutes en individuel et en 8 séances de 90 minutes en
groupes de 6 à 12 patients, hebdomadaires.
L’avantage du groupe est sa dynamique :
4
En sortant l’insomniaque de sa solitude,
4
En facilitant la mise en pratique des
recommandations thérapeutiques (technique de « coping »,
renforcement) chacun pouvant donner des recettes qui ont
« marché » pour lui-même.
Un autre avantage est la réduction du coût global.
Les résultats…
Résultats d’une étude (étude de Morin dans Sleep en
1999)
Cette étude a inclue 99 patients divisés en 13 groupes
comprenant des hommes et des femmes (1,9 femme pour1 homme), dont l’âge
moyen est de 48,8 ans +/- 13,4. Parmi les 86 patients ayant participé à au
moins 6 séances, avec une évaluation en fin de chaque séances (échelle
visuelle analogique)
4
70 % d’entre eux ont trouvé leur insomnie améliorée
ou très améliorée,
4
28 % peu ou pas améliorés,
4
Aucun n’ont noté une aggravation de leur insomnie.
5.
CONCLUSION
Les Thérapie Comportementales & Cognitives
« TCC » ont prouvé leur efficacité dans l’insomnie chronique
psycho-physiologique
Elles sont actuellement utilisées par certains dans les
insomnies au cours de pathologies psychiatriques, mais ne sont pas encore
évaluées.
Ces thérapies ont un développement insuffisant au regard
de la prévalence des troubles du sommeil. Il est nécessaire de mettre en
place des relais :
-
Médecins généralistes ayant une formation à la TCC
-
Psychologue avec une formation complémentaire sur
le sommeil.
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